Voici une réflexion qui me travaille depuis quelques temps et sur laquelle j’aimerais m’exprimer.

Avant toute chose, j’aimerais définir de quel type de censure je souhaite parler ici. Il s’agit de l’interdiction de diffuser sur l’espace public des propos qui  :

  • Contredisent des faits avérés,
  • N’ont aucune preuve scientifique rigoureuse sur laquelle s’appuyer,
  • Présentent un risque pour les citoyens ou la société.

En gros, on pourrait reformuler ma question en : comment lutter contre la désinformation ?

L’exemple le plus simple est la loi Gayssot, qui réprime la contestation des crimes contre l’humanité.

Et franchement, quand j’entends ou je lis certains propos dans les médias, je me demande si cette loi ne devrait pas s’étendre à d’autres domaines. Mais après le coup de colère vient la question : est-ce la bonne solution ?

Quelques exemples

Soyons clairs : remettre en question nos connaissances, c’est important. C’est le principe même de la science (dans son sens large) : confronter les savoirs et les hypothèses aux faits et aux preuves afin de s’approcher au plus près possible de la vérité. Détecter les erreurs. Se remettre en question et s’améliorer.
Parfois, en faisant cela, un spécialiste va faire une découverte qui va chambouler toutes les idées que l’on avait de son domaine. On parle alors de révolution scientifique, et l’auteur de la découverte obtient respect, renommée et récompenses diverses.

Seulement, pour remettre en question des années voire des siècles de connaissances, il faut avoir des preuves. Solides, valides, vérifiables.
Malheureusement, certains clament haut de fort des discours en contradiction avec les faits connus, sans apporter aucune preuve, simplement parce que cela sert leur intérêt privé / les met au devant de la scène / confirme leurs opinions politiques / correspond à l’image qu’ils se font du monde / etc. Ils prétendront détenir la vérité, et lorsqu’on les contredira, n’hésiteront pas à tomber dans le complotisme.
Et comme nous ne sommes pas experts en tout, nous n’auront pas forcément les armes pour lutter contre leurs discours.

Négationnisme

Prétendre qu’un évènement historique n’a pas eu lieu est loin d’être anodin. Car à mesure que le temps avance, les témoins disparaissent, les preuves vieillissent et les blessures tombent dans l’oubli. Si l’Histoire nous permet de comprendre le monde dans lequel nous vivons, une fausse Histoire nous fait voir notre présent à travers des lunettes déformantes, au risque de nous cogner contre le coin de la table basse.

Dieudonné

Où est la limite entre spectacle et propagande ? Entre humour et incitation à la haine ? Dieudonné à créer la controverse lorsque ses spectacles se sont vus interdits.

Wakefield

C’est en écoutant une émission de France Culture sur la vaccination que j’ai eu envie d’écrire cet article. Une personne expliquait qu’elle avait voulu inviter M. Wakefield à une conférence et qu’on le lui avait empêché. Elle était scandalisée. Et je n’ai pas su quel parti prendre.

Il faut savoir que M. Wakefield a publié il y a quelques années de cela des travaux scientifiques prouvant que la vaccination était responsable d’un certain nombre de cas d’autisme. Depuis, il a été démontré que cela était complètement faux, que ses travaux étaient truqués et qu’il avait l’intention de se faire de l’argent en vendant des tests de dépistage bidons.
Malheureusement, encore aujourd’hui, des parents ne vaccinent pas leurs enfants à cause de ce mensonge.

Alors pourquoi inviter un tel personnage à un débat scientifique ? Quel est le but, à part créer la polémique et l’aider à diffuser ses propos dangereux ?
Faut-il lui interdire tout simplement de s’exprimer, au nom de la santé publique ?

Pour et contre la censure

Le principal « pour » est bien évidemment d’empêcher la propagation d’idées fausses et dangereuses.
On pourra rétorquer que cela empêche le débat d’idées, malheureusement on sait que dans la plupart des débats, celui qui l’emporte (c’est à dire qui convainc la majorité de l’auditoire) est surtout celui qui a du charisme et qui utilise toutes les ficelles de la rhétorique, même si son adversaire apporte une grande quantité de preuves solides.

Mais il existe un grand nombre de « contre ». Tout d’abord, cela renforce la victimisation de la personne censurée et le conspirationnisme (« s’ils veulent nous faire taire, c’est parce qu’ils savent que nous avons raison »…), surtout à l’heure actuelle où les figures d’autorité sont de plus en plus remises en question.
À l’heure des réseaux sociaux, le censure semble vaine voire contre-productive.

Ensuite, je trouve que c’est faire preuve d’un paternalisme qui a tendance à m’agacer : je déteste qu’on prenne des décisions « pour mon propre bien » : je suis une adulte responsable, je suis assez grande pour savoir qui et quoi croire, et si je me trompe, c’est mon problème… Non ?
Non, pas vraiment. Car déjà, il faut que je reconnaisse les propos dangereux : on sait à quel point l’être humain est manipulable et mal équipé pour lutter contre les fausses informations. Ensuite, cela ne concerne pas que moi : à partir du moment où je vais diffuser une fausse information, même si c’est en toute bonne foi, je vais mettre les autres en danger.

Enfin, le plus grand « contre » à mon avis : qui décide de ce qui doit être censuré et ce qui ne doit pas l’être ? Les dérives sont si vite arrivées ! Un jour on censure un propos pour le bien de la société, le lendemain on censure un autre propos pour protéger un intérêt privé, et en deux coups de cuillère à pot on finit dans un état totalitaire.

Faux dilemme ? Les alternatives

On a parlé du « pour » (censure totale) et du « contre (aucune censure). Mais n’existerait-il pas des solutions intermédiaires ?

Éducation

Dans mon monde idéal, la censure ne serait plus nécessaire : tout le monde aurait assez d’éducation et surtout d’esprit critique pour que les propos faux et dangereux soient immédiatement repérés et jetés à la poubelle. C’est pourquoi je suis convaincue que l’esprit critique devrait être enseigné à l’école et encouragé tout au long de notre vie.

Mais soyons honnêtes : tout d’abord, ce n’est pas dans cette direction que va notre monde. Ensuite, il y aura toujours des gens en dehors du système éducatif, ou qui auront un mauvais prof, etc, qui n’auront pas les outils et seront plus facilement victimes de propos dangereux.

Information

Plutôt que d’interdire, pourquoi ne pas labelliser les propos dangereux, les marquer d’un logo « attention, danger » ? Comme on rappelle que « fumer tue » sur les paquets de cigarette, pourquoi ne pas signaler « ces propos sont dangereux pour vous et pour la société » ?

Là aussi on peut se questionner sur l’efficacité d’un tel système, surtout que les adeptes du complotisme y verraient là une marque de qualité.

Contrôle

Plutôt qu’une censure ferme, pourquoi ne pas exercer un contrôle plus souple, par exemple en obligeant chaque propos dangereux à être contrebalancé par des arguments sérieux ? Remplacer l’obligation de silence par une obligation d’information ?

Mais qui décide de ce qui est sérieux, de ce qui doit être dit ? En particulier sur des sujets faisant polémique au sein même de la communauté scientifique ?

Conclusion

Voici mes réflexions à l’heure actuelle. Beaucoup de questions, peu de solutions.

Je serais ravie de pouvoir en discuter. Peut-être connaissez-vous d’autres solutions, ou bien avez-vous une opinion différente ? N’hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires !

Pour aller plus loin